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Le renseignement au service de l’économie : les 30 ans de retard de la France [1]

['Christophe Bisson']

Date: 2024-11-13 16:12:29+00:00

Alstom, Alcatel, Arcelor, et désormais Doliprane. Ces pertes de fleurons industriels français au profit de puissances étrangères ne sont-elles pas le symptôme de notre manque de stratégie dans ce que l’on appelle l’intelligence économique ?

Donald Trump vient d’être élu confortablement à la Maison Blanche. Pour les Européens, cette élection soulève de nombreux problèmes, entre autres celui des droits de douane qui seront imposés par les États-Unis, d’une part à la Chine mais aussi aux pays européens. Ainsi, une diminution conséquente de l’entrée des produits chinois en Amérique va, par contre coup, les faire déferler sur l’Europe. En France notamment, la toile de fond de la désindustrialisation nous rend fortement vulnérables.

La récente affaire Doliprane a d’ailleurs ravivé les tensions sur la perte de souveraineté économique de la France, sur sa dette grandissante et sur la perte continue de notre compétitivité économique. Pourtant, dès 1994 le rapport Martre nous alertait, en défendant la mise en place d’une intelligence économique (IE), c’est-à-dire à rassembler et mobiliser des informations et des renseignements utiles aux acteurs économiques. Il devenait nécessaire de face aux mutations de notre environnement d’introduire plus de stratégie dans nos actions, d’utiliser l’information et son analyse comme une des clés permettant une meilleure décision.

Une intelligence économique à la française

L’intelligence économique a trois « piliers » : la veille stratégique (surveillance de l’environnement économique), l’influence (stratégie indirecte pour que des décisions soient prises en faveur de l’intérêt national) et la sécurité économique (comprenant des volets de sécurité physique, de propriété intellectuelle et digitale).

Qu’en est-il advenu ? En 2003, le rapport Carayon, intitulé « Intelligence économique et Cohésion sociale », reprenait les thématiques du rapport Martre pour constater que celui-ci n’avait en fait pas été suivi d’effet. À la suite du rapport Carayon, un poste de responsable chargé de l’intelligence économique au sein du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) a été créé, occupé par Alain Juillet de 2003 à 2009. On essayait alors, dans la mesure du possible, d’introduire au sein des élites françaises chargées de la décision les concepts et outils de l’IE pour à la fois protéger notre patrimoine industriel et augmenter notre compétitivité.

Cependant, en 2023, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann présentait un rapport intitulé « Anticiper, adapter, influencer : l’intelligence économique comme outil de reconquête de notre souveraineté », dont la recommandation numéro 1 était sans équivoque : « concevoir une stratégie nationale d’intelligence économique intégrant les volets défensif et offensif… ». Ainsi, 30 ans après le rapport Martre, les principes de base devant soutenir notre compétitivité n’avaient semble-t-il toujours pas été intégrés dans les processus de décision nationaux.

La perte des fleurons technologiques nationaux

Il est difficilement admissible que ce soit par un manque de culture ou par une méconnaissance des mécanismes liés à la décision stratégique qu’on en soit toujours au même point. Cela conduit à nous poser quelques questions et à mettre en évidence des faits avérés pouvant étayer une réflexion sur la perte de compétitivité de la France. Examinons une partie de ces derniers.

Bien avant l’affaire Alstom, des « fleurons » de l’industrie française sont passés sous contrôle étranger tels que Péchiney (2003), Arcelor (2006) ou Alcatel (2015). En 2015, c’est l’affaire Alstom qui marque le plus l’opinion. C’est finalement l’Américain General Electric qui rachète Alstom, avec l’aval du gouvernement français.

Ainsi, il nous semble qu’au-delà du patriotisme national, l’impact d’une politique soumise aux contraintes néolibérales est incompatible avec une politique nationale d’intelligence économique et donc de souveraineté nationale. En effet, l’IE à la française prône la protection et le confort de la souveraineté nationale sur les espaces critiques. Cela parait incompatible avec la recherche systématique du profit à court terme.

Le besoin d’une vision à long terme

De plus, si l’IE semble se limiter aujourd’hui à la sécurité économique, avec toutefois une certaine efficacité, force est de constater que les aspects de stratégie directe ou indirecte (c’est-à-dire d’influence) et de prospective n’ont été que peu développés. Au niveau européen, la politique d’ouverture, la faible défense de nos intérêts et un manque chronique de coordination nous condamnent à un certain immobilisme et à un effacement de nos intérêts stratégiques, au profit d’une perception naïve d’un néolibéralisme « conquérant ».

Concernant l’actualité, la réaction de la population américaine qui va conduire à un développement intérieur des États-Unis, suivi d’un protectionnisme accru, remet en cause la doxa traditionnelle de nos décideurs. Cette situation risque rapidement de nous conduire à une paralysie décisionnelle en raison de la désindustrialisation, du manque de souveraineté énergétique, d’une dette croissante et surtout d’une méfiance de plus en plus marquée vis-à-vis des politiques nationales ou européennes qui semblent nous conduire vers une impasse.

Nous devons quitter la période « paisible » qui, depuis 80 ans, conduit à un effet lénifiant pour nous projeter dans un monde nouveau où la guerre des blocs, la compétition économique et les effets climatiques vont bouleverser nos référentiels et notre manière de penser et d’agir !

Cet article a été co-écrit avec Henri Dou, ancien professeur en sciences de l’information et de la communication à Aix-Marseille Université.

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[1] Url: https://theconversation.com/le-renseignement-au-service-de-leconomie-les-30-ans-de-retard-de-la-france-243288

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