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L’éducation à la sexualité face aux inquiétudes des parents d’élèves [1]

['Verneuil Yves']

Date: 2024-11-12 16:35:33+00:00

Alors que sont régulièrement pointées les faiblesses de l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire, un nouveau programme a été proposé en mars 2024 par le Conseil supérieur des programmes. Sa publication va-t-elle enfin changer la donne ? Tout au long du XXe siècle, la crainte des réactions des parents a été un frein puissant à une réelle mise en œuvre des dispositifs et de prévention sur le terrain.

Le 22 octobre dernier, la ministre de l’Éducation nationale Anne Genetet a annoncé vouloir que le programme d’éducation à la sexualité mis au point en mars 2024 par le Conseil supérieur des programmes (CSP) soit publié « le plus tôt possible ». Ainsi devrait pouvoir être effectivement appliquée la disposition de la loi du 4 juillet 2001 stipulant qu’« une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ».

Cette relance, toutefois, n’est pas la première. En 2016, un rapport du Haut Conseil à l’égalité avait dénoncé les manquements à la circulaire du 17 février 2003 qui indiquait les modalités d’application de la loi du 4 juillet 2001. Le 12 septembre 2018, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer publie une nouvelle circulaire relative à l’éducation à la sexualité. Mais plusieurs enquêtes suggèrent que la loi est toujours mal appliquée. Le 30 septembre 2022, le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye publie une nouvelle circulaire. La publication par Anne Genetet d’un programme national sera-t-elle l’utile texte de relance ?

Des réticences des parents d’élèves dès le début du XXᵉ siècle

Si plusieurs facteurs peuvent expliquer l’application très inégale des circulaires ministérielles concernant l’éducation à la sexualité, la crainte de la réaction des parents d’élèves, ou du moins d’une partie d’entre eux, est assurément un frein puissant. À vrai dire, des réticences se sont manifestées depuis qu’au début du XXe siècle ont été émises les premières propositions d’introduire l’« éducation sexuelle » à l’école.

D’ailleurs, si toutes les études sur le sujet font de la circulaire Fontanet du 23 juillet 1973 le premier texte officiel sur l’éducation sexuelle, c’est en oubliant celle du 14 septembre 1937, signée à la fois par le ministre de la Santé publique Marc Rucart et par le ministre de l’Éducation nationale Jean Zay. Cet oubli s’explique par le fait que cette circulaire a été reportée quelques mois après, du fait de la ferme opposition de la Fédération nationale des associations de parents d’élèves des lycées et collèges (ancêtre de la PEEP).

L’inquiétude, voire l’opposition, peut concerner le contenu : certains parents redoutent une contradiction avec les valeurs familiales concernant la sexualité. Quand, en 1902, au Conseil académique de Paris, le Pr Pinard fait de premières propositions concernant l’éducation sexuelle, au reste exclusivement centrées sur la prévention contre les maladies vénériennes, et seulement pour les grands lycéens, le vice-recteur de l’académie de Paris, Louis Liard, lui répond qu’il faudra l’autorisation des parents, comme pour l’instruction religieuse. La comparaison est révélatrice.

Encore en 1973, l’UNAAPE considère que, dans la mesure où elle est liée à des options philosophiques et religieuses, il apparaît difficile que l’éducation sexuelle puisse respecter le principe de laïcité :

« Comment imaginer une éducation sexuelle à l’école qui respecte le principe de laïcité ? C’est impossible. Il ne peut pas davantage exister un cours d’éducation sexuelle unique qu’il n’existe, dans les établissements dispensant un enseignement religieux à des élèves de différentes confessions, un cours unique de religion. L’œcuménisme sexuel n’est pas encore pour aujourd’hui ».

C’est pourquoi la circulaire Fontanet du 23 juillet 1973 ne se borne pas à distinguer l’« information sexuelle », intégrée dans les programmes de sciences naturelles, et donc obligatoire, de l’« éducation sexuelle », facultative. Elle accorde un large droit de contrôle aux parents et promeut même, pour la prise en charge des séances d’éducation à la sexualité, la constitution d’équipes différentes pour le cas « où le choix des parents d’élèves, en fonction de leurs convictions philosophiques ou morales différentes, conduirait, en matière d’éducation, à des conceptions divergentes, rendant nécessaire une formule pluraliste ».

Intégrer la prévention des violences sexistes et sexuelles

Cependant, le 15 avril 1996, une circulaire ministérielle « relative à la prévention du sida en milieu scolaire et à l’éducation à la sexualité » prévoit l’inscription de séquences obligatoires à raison de deux heures au minimum dans l’horaire global annuel des élèves des collèges. Ce n’est plus seulement l’information, mais l’éducation sexuelle (rebaptisée éducation à la sexualité) qui devient obligatoire.

Mais la Confédération nationale des associations familiales catholiques porte l’affaire devant le Conseil d’État, et le 29 juillet 1998, celui-ci annule la circulaire pour abus de pouvoir, au motif que le Conseil supérieur de l’éducation n’a pas été consulté.

La circulaire du 19 novembre 1998 « relative à l’éducation à la sexualité et à la prévention du sida » reprend toutefois la plupart des termes de la circulaire de 1996. Un certain nombre d’associations dites de « défense de la famille » demandent son annulation au Conseil d’État, mais cette fois leur demande est rejetée : pour le Conseil d’État, les dispositions attaquées « ne méconnaissent pas les principes de neutralité et de laïcité », elles « n’ont pour objet ni pour effet de porter atteinte aux convictions philosophiques et religieuses tant des élèves, que de leurs parents ou des enseignants ».

Cet arrêt est d’autant plus important que la circulaire de 1998 rend non seulement obligatoire l’éducation à la sexualité mais promeut un certain nombre de valeurs : une orientation que vont d’ailleurs accentuer les circulaires suivantes. Ainsi celle de 2018 indique-t-elle que « l’éducation à la sexualité se fonde sur les valeurs humanistes de liberté, d’égalité et de tolérance, de respect de soi et d’autrui » et qu’elle s’appuie « sur les valeurs laïques et humanistes ».

Il faut dire que le contenu de l’éducation à la sexualité n’est plus essentiellement orienté vers la lutte contre les maladies vénériennes, comme elle l’était dans le premier tiers du XXe siècle (si l’on excepte les vues des néo-malthusiens et de quelques féministes). L’accent est mis désormais, dans les textes officiels, sur la prévention des violences sexistes et sexuelles et la promotion de l’égalité.

Les valeurs promues sont considérées comme faisant partie des « valeurs communes ». Ce qui n’empêche pas une association comme « Parents vigilants », réputée proche d’Éric Zemmour, de voir dans l’éducation à la sexualité le cheval de Troie des lobbies LGBT. Un point de vue assez semblable à celui de « SOS éducation », qui dénonce dans le projet de programme mis au point par le CSP « une effraction » et même « un viol psychique ». Pour elle, l’éducation à la sexualité devrait relever uniquement des parents.

Une coéducation parents-école

C’est en effet le principe même d’une l’éducation sexuelle collective qui est critiqué par certains parents, avec d’ailleurs la même argumentation depuis le début du XXe siècle : en dehors même du contenu et des valeurs qui peuvent être transmis, cette éducation dans sa forme collective serait intrinsèquement perverse, car elle conduirait les enfants à entendre des choses qu’ils ne sont pas forcément prêts à entendre, et donc à les troubler.

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L’éducation sexuelle collective serait toujours immorale, au contraire de l’enseignement individuel dispensé par les parents ou le médecin de famille, qui connaissent l’enfant. Cette idée a été régulièrement avancée par certains parents. Mais ce fut aussi l’avis d’un Charles Chabot, professeur de science de l’éducation à l’université de Lyon, pour qui « nulle part il n’est plus nécessaire d’individualiser l’enseignement, parce que les leçons prématurées, inoffensives ailleurs sont ici dangereuses, peut-être funestes ».

Aujourd’hui, toutes les grandes fédérations de parents d’élèves acceptent l’éducation à la sexualité à l’école. Mais ce genre d’inquiétude persiste chez certains parents. En fait, et c’est encore une continuité depuis le début du XXe siècle, beaucoup de parents à la fois reconnaissent qu’ils sont incapables de prendre en charge eux-mêmes l’éducation sexuelle mais se montrent défiants envers une prise en charge par l’École. Dans ce domaine plus encore qu’en d’autres, la coéducation école/parents peut aider à dissiper les inquiétudes.

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Récemment, le ministère de l’Éducation nationale a tenu compte de celles-ci. En 2018, en effet, la circulaire Blanquer a fait commencer l’éducation à la sexualité à l’école élémentaire (et non plus maternelle) et a précisé les thèmes qui peuvent être abordés à ce niveau. On observera par ailleurs que, s’il a réintégré l’école maternelle dans l’éducation à la sexualité, le programme mis au point par le CSP a omis le mot sexualité dans l’intitulé concernant le cycle 1 (maternelle) et le cycle 2 (CP, CE1, CE2, « éducation à la vie affective et relationnelle ») et l’a conservé seulement pour les cycles 3 et 4 (CM1, CM2 et collège) et le lycée (« éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité́ »).

Tout se passe comme si, aujourd’hui, la question de l’éducation à la sexualité à l’école resterait « socialement vive » surtout concernant les enfants, mais qu’elle le serait beaucoup moins pour les adolescents. Ce qui serait tout de même un grand changement par rapport à la « Belle Époque ».

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[1] Url: https://theconversation.com/leducation-a-la-sexualite-face-aux-inquietudes-des-parents-deleves-242752

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